Un tribunal kényan a bloqué vendredi dernier la décision “inconstitutionnelle, illégale et invalide” du gouvernement de déployer un millier de policiers en Haïti, en proie à la violence de gangs, dans le cadre d’une mission soutenue par l’ONU.
Face aux appels de plus en plus pressants du gouvernement haïtien et de l’ONU, le Kenya avait accepté en juillet de mener une force de 2 500 à 2 600 hommes, espérée « au cours du premier trimestre 2024 ». L’ONU avait donné le feu vert en octobre à cette force, également soutenue par les États-Unis. Mais l’annonce du gouvernement kényan, validée au Parlement le 16 novembre, avait suscité une vive contestation dans ce pays d’Afrique de l’Est. L’opposant Ekuru Aukot avait notamment saisi la Haute Cour de Nairobi, arguant que cette mission était inconstitutionnelle, car ne reposant sur aucun fondement légal.
Un avis que la Haute Cour a donc confirmé. « Le Conseil national de sécurité n’a pas mandat pour déployer des agents de la police nationale hors du Kenya », a affirmé le juge Enock Chacha Mwita. Une « telle décision contrevient à la Constitution et à la loi et est donc inconstitutionnelle, illégale et invalide », a-t-il ajouté. L’envoi de policiers hors du territoire national n’est possible qu’en cas d’accord de « réciprocité » signé avec le pays receveur des troupes, qui doit en avoir fait la demande directement auprès du Kenya. Ce n’est pour l’instant pas le cas entre le Kenya et Haïti, précise notre correspondante à Nairobi, Albane Thirouard.
Ce verdict marque un coup d’arrêt à la force multinationale très attendue pour tenter de juguler le chaos grandissant dans ce petit État caribéen, où la violence des gangs a fait près de 5 000 morts, dont plus de 2 700 civils, en 2023, selon un rapport mardi du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres. Le gouvernement kényan a « réitéré son engagement à honorer ses obligations internationales » tout en affirmant qu’il allait « contester » ce verdict, a affirmé dans un communiqué le porte-parole du gouvernement, Isaac Maigua Mwaura. « Nous allons aussi étudier le verdict et prendre les mesures nécessaires. Le Kenya est et reste engagé dans ses obligations en termes de maintien de la paix vis-à-vis de la communauté internationale », a explique le porte-parole.
L’opposant Ekuru Aukot s’est réjoui de cette victoire. « Nous sommes très contents de cette décision. Le juge n’était pas d’accord avec certains de nos arguments mais en fin de compte, il a bien qualifié le déploiement de policiers à l’étranger d’illégal et d’inconstitutionnel. Il y a toutefois une chose que je veux souligner. Pour moi, il n’y a pas de gouvernement légitime à Haïti en ce moment qui pourrait faire une demande de déploiement à un autre pays », a-t-il déclaré.
“Mission pour l’humanité”
Le Kenya a déjà participé à plusieurs opérations de maintien de la paix dans des pays voisins (RDC, Somalie) et dans d’autres parties du monde (Liberia, Timor oriental, ex-Yougoslavie…). Les autorités de Nairobi avaient essuyé de vives critiques depuis l’annonce de leur décision d’envoyer des policiers en Haïti, pays hautement instable et dangereux.
La décision de la Haute cour est un revers pour les autorités kényanes. Le président William Ruto avait affirmé que ce déploiement était une “mission pour l’humanité” dans un pays ravagé, selon lui, par le colonialisme.
Selon la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU adoptée en octobre par 13 voix pour et 2 abstentions (Chine et Russie) après de difficiles négociations, cette “mission multinationale de soutien à la sécurité”, non onusienne, était prévue pour “une période initiale de douze mois”, avec une réévaluation au bout de neuf. La résolution appelait d’autre part la future mission à “prendre les mesures appropriées en matière de gestion des eaux usées” pour empêcher la propagation de maladies.
Une recommandation probablement destinée à rassurer les Haïtiens qui gardent un très mauvais souvenir de la dernière force internationale déployée sur leur territoire. Des Casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), présente de 2004 à 2017, avaient en effet apporté le choléra, entraînant une épidémie ayant fait plus de 10.000 morts. Cet épisode explique en partie que la future force ne se fasse pas sous drapeau de l’ONU.
Dans un contexte de terreur, d’habitants forcés de fuir ou de se cacher, le pays connaît une des “pires” crises alimentaires au monde, déplorait mardi le rapport de l’ONU.