Au Cameroun, cela fait, ce dimanche 6 novembre, quarante ans, jour pour jour, que Paul Biya est président de la République. En 1982, il recevait le pouvoir de son prédécesseur démissionnaire Ahmadou Ahidjo. En quatre décennies, Paul Biya, âgé aujourd’hui de 89 ans, a été proclamé vainqueur des sept dernières élections présidentielles. Il est à mi-parcours de son septième mandat qui court jusqu’en 2025.
C’est l’un des records de longévité au pouvoir d’un chef d’État. Deux générations de Camerounais ont vu le jour sous la présidence de Paul Biya qui célèbre, dimanche 6 novembre, 40 ans de règne sans partage que certains au Cameroun voudraient voir s’achever tout en redoutant l’instabilité qui s’en suivrait.
À 89 ans et avec une santé fragile, le “sphinx” est – monarchies exceptées – le deuxième chef d’État au monde à la plus grande longévité encore au pouvoir, derrière son voisin de Guinée équatoriale Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (plus de 43 ans).
En début de soirée de ce dimanche 06 novembre 2022, le Cabinet civil de la présidence de la République a fait fuiter sur la toile, quelques clichés de la célébration au palais de l’Unité à Yaoundé de l’An 40 de Paul Biya au pouvoir. Sur les images, l’on aperçoit le dirigeant de 89 ans en compagnie de son épouse et de certains proches.
Le grand absent, est Franck Emmanuel Biya, fils aîné du président de la République. L’homme de 51 ans qui est par ailleurs conseiller spécial à la présidence de la République a célébré ce 06 novembre à la place des fêtes de Garoua, chef-lieu de la Région du Nord aux côtés des personnalités comme le ministre Issa Tchiroma Bakary, président de FSNC, parti politique de la majorité présidentielle. Franck Biya, qu’une certaine opinion présente comme le probable successeur de son papa, séjourne dans le septentrion depuis le début du week-end.
Une longévité au pouvoir diversement appréciée
Quarante ans de présidence, c’est aussi un bilan et une longévité diversement appréciée qui suscitent inévitablement commentaires et prises de position politiques.
Ainsi, on a pu lire dans le journal gouvernemental Cameroon Tribune des pages entières de messages de félicitations adressées par des chefs traditionnels, des parlementaires ou encore le président de la Commission nationale anti-corruption (Conac).
Des documentaires, des débats, des ouvrages sur le « phénomène Biya » retraçant son parcours, décryptant les clefs de sa longévité… Ses partisans lui attribuent la paternité de la stabilité du Cameroun sur le temps long. « Le Cameroun est un pays de paix », répètent-ils. Une paix, toutefois, que ne connaît pas une partie de la population dans l’Extrême-Nord touché par Boko Haram et dans les deux régions à majorité anglophone du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Sur le plan social et économique, le parti met en avant, entre autres, des constructions d’écoles, d’hôpitaux ou encore de routes, ces quatre décennies passées. Les opposants pointent « un potentiel inexploité », « une industrie embryonnaire » et des infrastructures encore « insuffisantes » pour répondre aux besoins de base. De son côté, l’organisation « Tournons la Page » dénonce une « corruption endémique et institutionnalisée » et une longévité qui « a pesé sur le développement du pays ».
Deux conflits sanglants
Le Cameroun fait également face à deux conflits sanglants, contre les jihadistes dans l’extrême-nord et contre les indépendantistes armés dans l’ouest peuplé par la minorité anglophone. Là, l’armée et les séparatistes sont accusés de commettre des crimes contre les civils par les ONG et l’ONU.
Ce conflit a fait plus de 6 000 morts et déplacé plus d’un million de personnes en moins de six ans, selon International Crisis Group.
“Paul Biya avait l’opportunité de résoudre la crise anglophone sans la moindre perte en vie humaines, mais il n’a adopté que des mesures de façade, avec mauvaise foi”, estime Kevin Teboh Tekang, 33 ans, enseignant dans un collège de Buéa, en zone anglophone.
“La plupart des jeunes anglophones sont encore au Cameroun non pas par patriotisme, mais à cause de la pauvreté car ils n’ont pas les moyens de quitter le pays”, regrette-t-il.
La démographe au ministère de la Planification redoute une “succession” et un plongeon dans une “instabilité qui pourrait nous faire perdre une génération, alors que les jeunes sont le fer de lance de la Nation”.
Sur le campus de l’université de Yaoundé, Durand Djomou, étudiant en biologie de 19 ans, ne parvient même pas à imaginer l’avenir sans Paul Biya. “Ce qui est sûr, c’est qu’avec une autre personne, on ne sait pas ce qui pourrait se passer et ça pourrait être encore pire”, lâche-t-il.