Le souvenir est vivace, comme si c’était hier. Il y a 16 ans, les rues bruissaient de colère, de frustration, de désespoir. Les bérets verts, rouges, noirs et violets scintillaient sous un soleil qui semblait éclairer l’exaspération grandissante de la population. Les coupures d’électricité incessantes, les pénuries d’eau, la flambée des prix, tout cela avait créé un cocktail explosif, prêt à déborder.
Il y a 16 ans, du 23 au 29 février 2008, le Cameroun a été le théâtre de violentes manifestations sociales que les observateurs ont appelé «les émeutes de la faim». À la différence d’autres pays africains qui ont connu le même type d’évènements à la même période, c’est un facteur politique – le projet de modification constitutionnelle visant à permettre au président Paul Biya de se maintenir au pouvoir – qui, conjugué avec la hausse des prix des carburants et des denrées alimentaires, a servi de déclencheur au soulèvement populaire.
Une grande action de consternation qui a débuté à Douala le 23 février 2008 et s’est propagée dans les autres villes du pays avant de se généraliser. Ce jour-là, le principal parti de l’opposition, le SDF, organise une manifestation contre la modification de la constitution malgré l’interdiction du gouverneur. La police disperse la manifestation et aurait utilisé des balles réelles. Il y aurait eu un à deux morts et la mise à sac d’une station-service. Un bus de la SOCATUR est incendié. Deux jours après, le 25 février, avec des revendications socio-économiques, civiques et politiques; face à l’ampleur du mouvement social, transformé en émeutes avec les premiers morts par balles, les autorités ont décidé de déployer en nombre des militaires sur le terrain avec des moyens disproportionnés pour contenir des populations, certes furieuses, mais aux mains nues. De source officielle il y aurait eu 24 morts dont un policier et plus de 1 500 interpellations.
Seize ans après, les mêmes revendications persistent, l’on semble n’avoir pas retenu la leçon.
Seize ans après, rien n’a véritablement changé. Au contraire, la situation va s’empirant. «A côté de la crise économique ambiante, la vie chère, le taux de chômage des jeunes élevé, le prix du carburant toujours élevé malgré la chute drastique du prix du baril sur le marché mondial, s’ajoute aujourd’hui un problème de coupure intempestive d’électricité. Coupure qui au jour d’aujourd’hui a déjà fait plus d’une vingtaine de morts suite aux incendies dans les seules villes de Douala et Yaoundé», soulignait La Nouvelle Expression le 26 février 2016.
Selon le journal, il se pose également un problème criard d’approvisionnement en eau potable. Des quartiers passent des mois sans eaux à Douala et à Yaoundé. On voit tous les jours des camions de sapeurs-pompiers livrés de l’eau dans les quartiers. Une situation qui laisse penser qu’on n’est pas loin d’une autre crise sociale. Sur le plan politique, on est au bord de l’implosion avec des appels à candidature qui se multiplient dans les différentes régions invitant le président Paul Biya à se représenter aux élections présidentielles de 2025.
Une nouvelle répression qui se transforme
La même répression de 2008 s’est abattue, dès octobre 2016 sur les anglophones camerounais qui marchaient pacifiquement contre la « francophonisation » de leurs régions. Le 1er octobre 2017, plusieurs dizaines de manifestants – considérés comme des « délinquants manipulés » par les autorités – ont été tués par balles. Une nouvelle fois la « légitime défense » a été justifiée par le régime. Après une année de répression continue, de silence complaisant de la communauté internationale, des anglophones camerounais, minoritaires, ont décidé de prendre le maquis et les armes pour combattre le régime de Paul Biya et de s’attaquer aux forces de l’ordre et aux symboles de l’Etat. Aujourd’hui, ces régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun ont basculé dans un conflit de basse intensité, où des exactions sont commises par toutes les parties au conflit. En effet, La proclamation de la présumée République d’« Ambazonia » en 2017, précédée par des actes de violence, a ouvert la voie à un contexte sécuritaire délétère.
Ces régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest vivent ainsi depuis 7 ans au rythme d’une crise sociale, politique, mais aussi sécuritaire. Entre les villes mortes et les affrontements entre les forces gouvernementales et les groupes armés séparatistes, les populations de cette partie du Cameroun subissent les conséquences d’un cycle intermittent de violences. Depuis le déclenchement de la crise, de nombreuses exactions commises par les séparatistes et les forces de sécurité camerounaises ont été enregistrées. La situation humanitaire s’est dégradée, tout comme le contexte économique. Des villages ont été brûlés et de nombreuses localités vidées de leurs populations. Les séparatistes ont interdit l’enseignement public et attaquent, menacent et enlèvent fréquemment les élèves et les enseignants, et brûlent, détruisent et pillent des écoles.