Au sortir des élections régionales du 6 décembre 2020 , Suivie par l’élection des exécutifs régionaux le 22 décembre 2020, l’Agrégée de Science politique et Professeure des universités , Nadine Machikou a publié une tribune dans laquelle, elle met en exergue la non présence des femmes comme présidente du conseil régional.
Dix Présidents de région, zéro femme au seuil de 2021 au Cameroun : « débarrassez la table mesdames, les hommes ont fini de se distribuer les dépouilles régionales ! ». En ce soir du 22 décembre 2020, c’est la grande désillusion : les conseillers régionaux se sont réunis lors de la session de plein droit des conseils régionaux pour désigner les exécutifs constitués de sept membres : un président, deux vice-présidents, deux questeurs et deux secrétaires. Au final, des résultats honteusement historiques : huit positions sur 70 et surtout zéro présidente de région comme hier, zéro femme maire de grande ville, évidemment zéro femme gouverneure … Le plafond de verre s’est localisé. L’Observatoire du politique en Afrique fera un inventaire détaillé de cette grande régression mais en attendant, le constat est sans appel : une exclusion de la majorité démographique, un traceur tonitruant de la domination masculine et un déshonneur pour la République garante de l’égalité. Comment l’ignominie de la non représentativité féminine au sommet des exécutifs régionaux a pu échapper à la vigilance des appareils partisans de quatre formations politiques : Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), l’Union démocratique du Cameroun (UDC), l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) et le Front pour le salut national du Cameroun (FSNC) ? De quelle démocratie représentative au niveau régional parlera-t-on sans la représentation de la majorité ?
1/ La représentativité politique des femmes : une question de justice et de légitimité démocratique
La représentation politique des femmes est une question métanormative et démocratique, l’admission des femmes à l’égalité parfaite étant la marque la plus sûre de la civilisation, celle qui double les forces intellectuelles du genre humain selon la formule de Stendhal. Elle est consubstantielle à l’édification d’institutions justes et passe par des dispositifs dont les réquisits sont réalisables. Sommes-nous réduit(e)s à considérer que la parité en politique est une possibilité de probabilité nulle ? Plus encore, devons-nous nous résoudre à accepter que la politique de quotas électoraux garantissant l’intégration de femmes dans les assemblées politiques, système transitionnel vers un équilibre véritable entre les sexes de cinquante-cinquante, est une utopie au Cameroun ? Là où d’autres se démarquent nettement (le parlement rwandais est composé à 60%, le Sénégal et l’Afrique du Sud autour de 50%), comme sur bien des questions, le Cameroun est dans la grande moyenne de 30% (comme l’Ouganda, la Namibie, le Burundi ou encore le Burkina Faso). Le choix de s’aligner sur le standard international est en réalité une posture sobre de garantie de la « minorité critique ». Il relève du régime du possible et constitue un horizon de justice démocratique soulignant l’ampleur des inégalités de genre en politique à la lumière de normes. Cette exigence concessive, obtenue par le fait d’une prise de position ferme du Chef de l’Etat Paul Biya mais aussi du plaidoyer continu de la société civile en 2013, a fait peser la charge de la représentativité non sur les femmes elles-mêmes, mais sur les instances en charge des candidatures et investitures. L’alibi des « où sont-elles, ces femmes ? On cherche les candidates mais on n’en trouve pas » ; « elles ne sont pas prêtes », « elles ne sont pas compétentes », ou encore « elles se sont pas assez motivées » a été déclaré globalement irrecevable. Inutile d’accuser les victimes : biais et exclusion dans la sélection des candidatures sur le principe qu’à compétences égales, les hommes sont plus susceptibles d’être sélectionnés, poids du capital social marqué par un système patriarcal garantissant un privilège masculin, structuration pratique du travail politique fondant une distribution genrée des tâches (pour aller très vite, les hommes dans la stratégie et les femmes dans l’animation), faible capital militant ou financier, etc., obstacles sérieux mais pas insurmontables. On l’a tous bien vu, les 30% nécessaires ont été dénichés, de gré ou de force et ceci fut un progrès retentissant. L’on est passé de 25 à 56 femmes sur 180 sièges à l’Assemblée nationale (soit 31,1% de progression). Ce bond de 124 % par rapport à la précédente législature, s’est aussi observé mais avec une inflexion dans le cadre des élections sénatoriales (20 femmes sur 100 en 2013) avec un taux de 20%. Sur ce point d’ailleurs, des réajustements auraient pu être faits dans le cadre des nominations. Aujourd’hui, elles sont 26 sur 100 sénateurs. La situation locale est préoccupante : alors que parmi les 360 maires du pays, seulement 27 sont des femmes, désormais, dans les conseils régionaux, aucune n’est présidente. Signalons tout de même trois vice-présidentes (Julienne Mandjoupe Pepelie, Evelyne Mpoudi Ngolle et Jeanne Meng) ; trois questeurs (Rebecca Ndedi, Angèle Evehe et Julienne Atta) ; deux secrétaires (Rose Fantche Tchapgang, Lisette Elomo Ntonga). Ici et là quelques femmes dans des commissions.
2/ Une interpellation collective, une responsabilité individuelle
Qu’a-t-on fait de la loi du 19 avril 2012 portant Code électoral qui en ses articles 151, 164, 181 et 218 garantit une représentativité féminine ? Quel bilan des luttes pour une représentation plus grande des femmes en politique ? A l’heure de la grande désillusion, puisque nous sommes tous responsables (et pas nécessairement tous coupables), chacun doit prendre et assumer ses responsabilités. Ce déclassement et cette dépossession ne se sont pas faits sans leur contribution/ complicité, et les femmes doivent, les premières, repenser les voies de/vers leur reclassement. Oui, le changement le plus important, c’est de nous changer nous-mêmes, c’est de reconsidérer notre rapport au pouvoir et à l’égalité et de challenger notre auto-relégation. En effet, si la loi garantit le droit à la citoyenneté politique des femmes (droit d’élire et d’être élues d’une part et droit de représenter et d’être représentées d’autre part), en revanche, elles sont moins nombreuses à se considérer compétentes et à solliciter des mandats. En sus, seule une infime minorité ose aspirer aux positions les plus élevées. On sait tous le sort réservé à ses « audacieuses » le 22 décembre dernier. Les gouvernants, les organisations partisanes et associatives se préoccupent-ils d’elles ? Face à la loi de l’offre et de la demande politique, il est essentiel que loin de tout discours en surplomb, la République assume sa charge régulatrice, celle de garantir la présence, la visibilité et la représentativité féminine par des instruments politiques et juridiques pertinents.
3/ L’entre soi et le privilège masculin est sauf mais pour combien de temps encore ?
Au soir du 22 décembre 2020, certes le dispositif patriarcal tient bon et l’entre soi masculin du pouvoir politique est sauf. Leur invisibilisation et leur déclassement politique étant garantis, les femmes (ou les jeunes, c’est selon mais toujours les cadets sociaux) viendront débarrasser la table. Ainsi va la « promotion de la femme » (songeons à l’inclinaison marketiste de cette formule), sans que l’ordre politique masculin n’en soit troublé ; … mais pour combien de temps encore ? Ce sophisme de l’approximation égalitaire doit être questionné de manière institutionnelle puisque cet atermoiement illimité, ce différemment ad vitam æternam de l’égalité ne peut être défié que par des politiques publiques de l’égalité. Malgré d’indéniables progrès, beaucoup reste à faire. Une politique plus volontariste de discrimination positive permettant de réguler le nombre de femmes élues peut s’adosser sur des quotas par sièges réservés ou par seuils légaux (via une obligation constitutionnelle ou légale). Les sanctions en cas de non-conformité ne doivent pas être que symboliques et/ou politiques mais aussi pécuniaires. Ceci ne dispense pas les partis politiques de se doter eux-mêmes de quotas volontaires. Un indice « gender-friendly » pourrait être construit dans ce sens et adjoint aux critères de performance politique des partis politiques qui pourraient chacun définir leur propre politique d’égalité de genre. Là où l’éducation, le renforcement de capacité, le plaidoyer, le lobbying, le monitoring, le réseautage, le coaching, etc. s’arrêtent, le quota prend efficacement le relai pour que le réservoir de talents féminins puisse être décelé et exploité. Il peut prendre en charge la loi de l’offre et de la demande politique qui, on le sait, fonde les processus de production et de reproduction d’un entre soi masculin. L’offre se réfère ici aux atouts ou compétences des personnes désireuses d’assumer un mandat électif déterminés essentiellement par le capital militant, le capital sociopolitique à travers le réseau de relations, l’argent, etc., toutes choses inégalement distribuées entre hommes et femmes. La demande quant à elle se rapporte aux attentes des divers acteurs politiques qui sélectionnent les candidatures et qui tendent à privilégier celles présentées par les hommes, candidatures présumées gagnantes. La République se doit de défier de manière normative et institutionnelle les règles du milieu (règles du jeu et temps en politique qui produisent une source de discrimination systémique et un privilège masculin) en faisant appliquer en amont les quotas à tous les échelons et les positions de la vie politique. Le quota permet de confronter l’injonction à la compétence, sorte d’alibi commode qui semble si souvent excipée pour les femmes en politique, la compétence masculine étant une évidence. Au nom de l’égalité d’ailleurs, les femmes pourraient revendiquer un droit à l’incompétence (mais sérieusement, qui veut d’un nivellement par le bas ?). Si les inégalités se sont pas déconstruites en amont, elles ne peuvent l’être en aval.
Désormais, l’exclusion des femmes du leadership politique local emporte une autre difficulté, liée cette fois à l’exigence d’inclinaison genrée des politiques territoriales.
4/ Le tournant territorial se fera avec les femmes ou ne se fera pas
Dans un contexte marqué par une redistribution des pouvoirs entre l’Etat central et les territoires régionaux et locaux, la disqualification féminine du leadership dans les exécutifs régionaux est le signe le plus indiscutable de leur exclusion de la prise de décision dans un espace privilégié de transformation de l’Etat. Le tournant territorial se fera avec les femmes ou ne se fera pas puisque le genre est une catégorie d’action publique locale qui devra s’articuler aux enjeux de territorialité. La prochaine étape est de s’assurer que gouvernance infraétatique masculine en son sommet n’exclut pas les femmes comme objets mais surtout, comme sujets des politiques de développement local. Des lignes directrices pour la préservation transversale d’une dimension genre des politiques locales doivent être définies et implémentées. Certes, He peut (et doit) agir pour She mais ceci emporte une navrante dépossession. La décentralisation et la bonne gouvernance locale qui supposent démocratie de proximité, prise en compte des besoins, des responsabilités et des intérêts des citoyens ; passent par des politiques publiques portées et ciblant (aussi) les femmes de manière concrète et explicite. La pauvreté et la précarité les frappent bien plus que les hommes, l’amélioration de leurs conditions de vie doit être une priorité pour l’Etat, les acteurs locaux, la société civile et les partenaires techniques et financiers. La planification, la budgétisation et la mise en œuvre des politiques locales devront être gender sensitive. Cette relation circulaire s’applique à l’espace, au temps, aux ressources, au travail, aux institutions, au pouvoir, etc. Elle appelle à une vigilance collective pour que les perdantes du 22 décembre 2020 (c’est-à-dire toutes les femmes au fond) ne le soient pas aussi tout au long de cette mandature régionale.
In fine, comment ne pas invoquer les mots dits avec force et panache par Christiane Taubira : « Nous, les femmes, nous sommes la moitié du ciel et même un peu plus. Nous entendons être la moitié de tout, pas vos moitiés, la moitié de tout. Et surtout, surtout, être au moins la moitié partout où se prennent les décisions. Le monde qui vient devra s’habituer partout à la présence partout, la présence forte de nos filles, de vos filles ». Au sortir du 22 décembre 2020, plus qu’une réclamation rageuse (en apparence) de justice démocratique, comment ne pas dire à la République et à tout le corps politique camerounais, de manière sobre, claire, ferme : plus jamais ça !!!
Nadine MACHIKOU, Agrégée de Science politique, Professeure des universités