Au Cameroun, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) au pouvoir célèbre ce 6 novembre les 42 ans de l’accession de Paul Biya, 91 ans, à la magistrature suprême. Plusieurs meetings et manifestations commémoratives sont prévus dans tout le pays.
Cette année, ce rendez-vous annuel revêt un goût de revanche pour les militants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) et les partisans du chef de l’État, deux semaines après sa dernière apparition publique. Paul Biya a fait un retour triomphal au Cameroun, après plus de cinq semaines d’absences. Une absence décriée par la société civile et l’opposition qui le disait malade, affaibli et incapable d’assurer la gestion du pays. Cette position a été encore exposée dans certains débats liés à la célébration de ses 42 ans de pouvoir.
Malgré les critiques virulentes de l’opposition, sur la gestion du pays, le RDPC entend commémorer cette journée avec fastes. Le secrétaire général du parti, Jean Kuete, invitait dans une circulaire les militants de tout le pays à « se mobiliser comme un seul homme derrière le président Paul Biya ». D’autres élites du RDPC n’ont pas hésité à le présenter comme candidat naturel à la prochaine élection présidentielle, prévue dans un an, fin 2025. Paul Biya, le président de la République, est arrivé à la tête du Cameroun le 6 novembre 1982, à la suite de la démission d’Ahmadou Ahidjo, ceci, en conformité avec les dispositions constitutionnelles de l’époque. Octobre 1962, marque le retour de Paul Biya au Cameroun.
Les partisans d’Ahmadou Ahidjo
Le jeune fonctionnaire est ainsi de retour de ses études supérieures en France, muni, dit-on, d’une « précieuse recommandation » du très influent politicien français Louis-Paul Aujoulat adressée au premier président du pays, Ahmadou Ahidjo. Il est nommé Chargé de mission à la présidence de la République avant de gravir toutes les autres paliers de l’administration camerounaise pour finir premier ministre. Le 6 novembre 1982, à la suite de l’annonce de la démission d’Ahidjo le 4 novembre, le Premier ministre en fonction depuis 1975 accède aux plus hautes charges de l’État en vertu des mécanismes constitutionnels connus depuis la modification de la loi fondamentale intervenue en juin 1979. Les débuts pourtant ne furent guère faciles pour Paul Biya, fraîchement porté à la tête de l’État, ce 6 novembre 1982. Les spécialistes parlent de succession de crises. La première éclate en 1983, lorsque s’impose dans le débat politique la question de la primauté du parti sur l’État, ou l’inverse.
Ahmadou Ahidjo, qui n’est plus président de la République, garde néanmoins les rênes de l’Union nationale camerounaise (UNC, parti unique) et prétend qu’il revient à l’État d’appliquer la politique arrêtée par cette formation politique. Ce à quoi Paul Biya rétorque que c’est à l’État (à son chef) de définir la politique de la Nation. « La joute est vive. Et conduit le tout nouveau président à poser deux actes d’une portée politique majeure : l’organisation de l’élection présidentielle du 14 janvier 1984 pour s’offrir une légitimité par voie de vote, et son élection au poste de président de l’UNC le 14 septembre de la même année, qui lui permet de contrôler le parti. Or, entre les deux dates, survient, le 6 avril, une tentative de coup d’État, conduite par des éléments de ce qui est alors la « garde républicaine », majoritairement issus de la partie septentrionale du pays et présentés comme les partisans d’Ahmadou Ahidjo », explique un universitaire.
Ce-dernier, se confiant en janvier 1983 au journaliste Henri Bandolo, auteur du désormais classique La flamme et la fumée paru en 1986, n’avait pas tari d’éloges pour son successeur. « Je fais entièrement confiance au président Paul Biya. C’est moi qui l’ai formé aux plus hautes responsabilités de l’État. Il a travaillé 15 ans à mes côtés de façon loyale et irréprochable. C’est, en outre, un grand patriote. Je sais qu’il saura défendre les intérêts de notre pays. Je l’avais nommé Premier ministre parce qu’il avait toute ma confiance. Et je lui ai renouvelé cette confiance en lui passant le relais à la tête de l’État. Je l’ai fait au mieux des intérêts de notre pays. Il le méritait. Il m’a été fidèle et loyal. C’est un homme honnête, intègre et compétent. Je le connais mieux que personne », expliquait Ahmadou Ahidjo, alors, le chef de l’État démissionnaire…
L’année 1990 apparaît comme un marqueur historique. Le temps est à la bataille pour la restauration du multipartisme reconnu par la Constitution dans un pays qui vit, dans une contradiction assumée, sous le parti unique, d’abord l’UNC depuis 1966, puis le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), dès le 24 mars 1985. Secoué de l’intérieur par des fortes pressions politiques d’une part, et forcé de s’adapter à la nouvelle donne de la coopération avec la France, qui, lors du sommet de la Baule, conditionne désormais son aide à la démocratisation, le régime vacille. Le président Biya, s’ajuste finalement. Une série de lois, votées par l’Assemblée nationale lors d’une session dite « des libertés » en décembre 1990, restaure le multipartisme et instaure d’autres libertés dont celle de la presse et des associations.
Au sein du régime, l’on prête au président Biya une manœuvre visant à contenir les luttes de succession qui s’intensifient alors, dans la perspective de son éventuelle retraite politique au terme d’un mandat qui court jusqu’en 2011… Trois ans plus tard, la secte islamiste Boko Haram défraie la chronique dans la région de l’Extrême-Nord du pays, même si les spécialistes situent à l’année 2009 les premiers indices de ses activités en territoire camerounais. L’État du Cameroun se voit imposer une guerre asymétrique.
Crise anglophone
Fin 2016, le président Biya doit faire face à la résurgence, apparemment inopinée, du « problème anglophone ». Des manifestations sont menées par des avocats qui exigent notamment la traduction en anglais des documents relatifs à l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (Ohada). Quelques semaines plus tard, c’est au tour des enseignants d’exprimer leurs revendications dans la rue. Les villes de Bamenda (capitale de la région du Nord-Ouest) et Buea (chef-lieu de la région du Sud-Ouest), abritent les protestations. Très peu d’analystes envisagent, à ce moment, la montée en puissance des revendications visant à mettre fin à ce qui est perçu comme le malaise anglophone, qu’une partie de l’élite des régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest assimile à la marginalisation.
C’est pourtant dans cette partie anglophone du pays que le président Biya avait remporté un succès diplomatique significatif au début des années 2000. En octobre 2002, la Cour internationale de la justice rend un verdict par lequel elle reconnait l’appartenance au territoire camerounais de la presqu’île de Bakassi dans la région du Sud-Ouest. Six ans plus tard, le 14 août 2008, le Cameroun retrouve sa souveraineté sur cette portion du territoire qui, depuis 1993, faisait l’objet de visées annexionnistes de la part du Nigéria voisin. En octobre 2018, Paul Biya remportait sa septième élection présidentielle, après celles du 14 janvier 1984, du 24 avril 1988, du 11 octobre 1992, du 11 octobre 1997, du 11 octobre 2004, et du 9 octobre 2011. Le 21 juillet 1990, répondant à une question du journaliste français Yves Mourousi, Paul Biya soulignait : « Je voudrais que l’histoire retienne de moi l’image de l’homme qui a apporté à son pays la démocratie et la prospérité », à chacun sa lecture.